Paulo Coelho

Stories & Reflections

Édition nº 164 : Le monument en mouvement

Author: Paulo Coelho

J’ai visité de nombreux monuments dans ce monde, destinés í  immortaliser les villes oí¹ ils sont placés bien en vue. Des hommes majestueux, dont les noms ont été oubliés, mais qui montent encore leurs superbes chevaux. Des femmes qui tendent vers le ciel des couronnes ou des épées, symbolisant des victoires qui ne figurent míªme plus dans les livres scolaires. Des enfants solitaires et sans nom, gravés dans la pierre, leur innocence í  tout jamais perdue pendant les heures et les jours oí¹ ils ont été obligés de poser pour quelque sculpteur que l’histoire a aussi oublié.

Et finalement, í  de très rares exceptions (Rio de Janeiro en est une avec son Christ Rédempteur) ce ne sont pas les statues qui marquent la ville, mais les choses les plus inattendues. Quand Eiffel a construit une tour métallique pour une exposition, il ne pouvait pas songer qu’elle finirait par devenir le symbole de Paris, malgré le Louvre, l’Arc de Triomphe, les magnifiques jardins. Une pomme représente New York. Un pont pas très fréquenté est le symbole de San Francisco. C’est aussi un pont sur le Tage qui se trouve sur les cartes postales de Lisbonne. Le monument le plus emblématique de Barcelone, une ville oí¹ beaucoup de choses ont été bien résolues, est une cathédrale jamais terminée (la Sagrada Familia). í€ Moscou, une place entourée d’édifices et dont le nom ne représente plus le présent (Place Rouge, en souvenir du communisme) est la grande référence. Et ainsi de suite.

C’est peut-íªtre en pensant í  cela qu’une ville a décidé de créer un monument qui ne serait jamais le míªme, qui pourrait disparaí®tre tous les soirs et réapparaí®tre le matin, qui a chaque minute de la journée se transformerait, selon la force du vent ou des rayons de soleil. La légende rapporte qu’un enfant en eut l’idée, justement au moment de… faire pipi. Quand il eut fini, il raconta í  son père que l’endroit oí¹ ils habitaient serait protégé des envahisseurs s’il pouvait contenir une sculpture capable de s’élever avant qu’ils ne s’approchent. Le père alla parler aux conseillers du lieu qui, ayant adopté le protestantisme comme religion officielle et considérant comme superstition tout ce qui échappait í  la logique, décidèrent cependant de suivre le conseil.

Une autre histoire raconte que, comme un fleuve se jetait dans un lac et provoquait un très violent courant, on construisit lí  un barrage hydroélectrique ; mais quand les ouvriers rentraient chez eux et fermaient les soupapes, la pression était très forte et les turbines finissaient par exploser. Jusqu’í  ce qu’un ingénieur eí»t l’idée de placer une fontaine pour permettre í  l’excès d’eau de s’échapper.

Avec le temps, l’ingénierie résolut le problème et la fontaine devint inutile. Mais se rappelant peut-íªtre la légende de l’enfant, les habitants décidèrent de la conserver. La ville possédait déjí  de nombreuses fontaines, et celle-lí  serait au milieu d’un lac ; que faire pour la rendre visible ?

Et c’est ainsi que naquit le monument en mouvement. De puissantes pompes furent installées, et de nos jours c’est un jet d’eau très violent, qui fait jaillir verticalement cinq cents litres d’eau par seconde, í  deux cents kilomètres heure. On dit, et je l’ai vérifié, qu’il est visible míªme d’un avion volant í  dix mille mètres. Il n’a pas de nom particulier ; il s’appelle le « Jet d’Eau », symbole de la ville de Genève (oí¹ ne manquent pas les sculptures représentant des hommes í  cheval, des femmes héroí¯ques, des enfants solitaires).

Un jour, j’ai demandé í  Denise, une scientifique suisse, ce qu’elle pensait du Jet d’Eau.

« Notre corps est presque entièrement fait d’eau, dans laquelle passent des décharges électriques qui communiquent des informations. Une de ces informations est appelée Amour, et elle peut interférer dans tout l’organisme. L’amour change tout le temps. Je pense que le symbole de Genève est le plus beau monument í  l’amour coní§u par l’art humain.

Je ne sais pas si le gamin de la légende y a pensé, mais je crois que Denise a parfaitement raison.

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