Paulo Coelho

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Vingt ans après : les deux sages

Author: Paulo Coelho

Il était une fois un sage nommé Sidi Mehrez. L’endroit oí¹ il habitait l’exaspérait, une belle ville au bord de la mer Méditerranée oí¹ hommes et femmes vivaient de faí§on dissipée et oí¹ l’argent était la seule valeur importante. Comme Mehrez était aussi un saint qui faisait des miracles, il décida d’encercler Tunis avec son écharpe puis la jeter í  la mer.

Les immeubles commencèrent í  tomber, le sol se souleva, les habitants se paniquaient en voyant qu’on les poussait vers la mort. Désespérés, ils décidèrent de demander de l’aide í  un ami de Mehrez, nommé Sidi Ben Arous. Ben Arous réussit í  convaincre le rigoureux saint d’arríªter la destruction ; mais depuis, toutes les rues de Tunis sont inclinées.

Je marche dans le bazar de cette ville africaine, porté par le vent de ce pèlerinage qui célèbre les vingt ans de mon parcours sur le chemin de Saint-Jacques (1986). Je suis avec Adam Fathi et Samir Benali, deux écrivains locaux ; í  quinze kilomètres de lí  se trouvent les ruines de Carthage, qui dans un passé lointain fut capable de tenir tíªte í  Rome. Nous discutons de l’épopée d’Hannibal, un de ses guerriers. Les Romains s’attendaient í  une bataille sur mer (les deux villes sont séparées seulement par quelques centaines de kilomètres de mer), mais Hannibal s’attaqua au désert, il traversa le détroit de Gibraltar avec une armée gigantesque, puis l’Espagne et la France, il escalada les Alpes avec des soldats et des éléphants puis attaqua l’Empire par le Nord. Il battit tous les ennemis qui croisaient son chemin puis, sans que l’on comprenne encore pourquoi, il s’arríªta devant Rome et n’ attaqua pas au bon moment. Résultat de cette indécision : Carthage fut rasée par les navires romains.

Nous passons devant un très bel édifice : en 1754, un homme tua son frère. Le père des deux décida de construire ce palais pour abriter une école, maintenant ainsi vivante la mémoire de son fils assassiné. Je commente qu’en faisant cela il a aussi maintenu la mémoire de son fils assassin.

-Ce n’est pas bien comme í§a – répond Samil. – Dans notre culture, le criminel partage sa culpabilité avec tous ceux qui lui ont permis de commettre le crime. Quand un homme est exécuté, celui qui lui a vendu l’arme est aussi responsable devant Dieu. Le seul moyen que le père avait de corriger ce qu’il considérait comme une erreur, fut de transformer une tragédie en quelque chose qui puisse aider les autres : au lieu de la vengeance qui se borne í  punir, l’école a permis que le savoir et la sagesse puissent íªtre transmises pendant deux siècles.

Sur une des portes de l’ancienne muraille il y a une lanterne. Fathi parle du fait que je suis un écrivain connu alors qu’il lutte toujours pour la reconnaissance :

– Ici c’est l’origine d’un des proverbes arabes les plus célèbres : « la lumière n’illumine que l’étranger. »

Je lui dit que Jésus í  fait le míªme commentaire : nul n’est prophète dans sa propre terre. Nous avons toujours tendance í  valoriser ce qui vient d’ailleurs, sans jamais reconnaí®tre la beauté de ce qui nous entoure.

Nous entrons dans un palais ancien, aujourd’hui transformé en un centre culturel. Mes deux amis commencent í  m’expliquer l’histoire des lieux, mais mon attention est complètement accaparée par le son d’un piano, et je commence í  le suivre par les labyrinthes de l’édifice. J’arrive í  une salle oí¹ un homme et une femme, apparemment hors du monde, jouent la « Marche Turque » í  quatre mains. Je me rappelle qu’il y a quelques années j’ai vu quelque chose de semblable – un pianiste dans un shopping, complètement absorbé par sa musique, ne remarquant pas du tout les gens qui passaient en parlant fort ou avec des radios allumées.

Mais ici nous ne sommes que trois plus les deux pianistes. Je vois l’expression sur le visage des deux : joie, la plus pure et complète joie. Ils ne sont pas lí  pour impressionner un public, mais parce qu’ils éprouvent que Dieu leur a donné ce don pour qu’ils puissent parler aux í¢mes. Par conséquent, ils finissent aussi par parler avec les í¢mes d’Adam, Samil, Paulo et nous nous sentons tous plus proches du sens de la vie.

Nous écoutons en silence pendant une heure. Nous applaudissons í  la fin, et, de retour í  mon hí´tel, je pense í  la lanterne.

Peut-íªtre n’illumine-t-elle que l’étranger, mais cela compte-t-il quand nous sommes possédés par ce gigantesque amour de ce que nous faisons?

Le prochain texte sera mis en ligne le 23 Mai 2006

P.S: Cher lecteur,

Pendant ce cheminement, qui remplit mon í¢me d’expériences très intéressantes, un des moments les plus magiques c’est lorsque, le soir venu, je lis les commentaires sur le blog. Míªme si je ne peux pas vous répondre í  tous, je veux que vous sachiez qu’il est très important pour moi de savoir que je ne suis pas seul sur ce chemin. Merci beaucoup de votre soutien et pour les mots et les idées qui maintenant sont inscrites dans mon coeur.

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