Paulo Coelho

Stories & Reflections

Édition nº 128: Sur l’immortalité

Author: Paulo Coelho

Sur l’immortalité

Comment l’íªtre humain répond-il aux changements ?

Mal. Toujours très mal. L’un des mythes les plus répandus au monde – le mythe du vampire – reflète cette idée.

Qu’est-ce qu’un vampire ? C’est quelqu’un qui, í  un certain moment de son existence, est devenu immortel. Et dès lors, son corps ne suivra plus le cours normal de la nature ; il sera jeune pour toujours, il pourra vivre le temps qu’il voudra, sans avoir í  affronter les problèmes liés í  l’í¢ge.

Son régime se résume í  un peu de sang tous les jours et, pour soigner sa peau, il lui suffit d’éviter la lumière du soleil. Mais finalement, c’est un prix très peu élevé par rapport í  toutes les possibilités d’une vie éternelle.

Un seul problème : le vampire s’est arríªté dans le temps, mais le monde continue de se transformer autour de lui. Tout ce í  quoi il était habitué commence í  changer, et il a beau avoir tout le temps du monde pour s’adapter í  ces changements, il a désiré l’immortalité justement parce qu’il était satisfait du monde dans lequel il vivait ; il n’a aucun intéríªt í  accompagner ces changements.

Imaginons un íªtre humain qui serait devenu vampire après la finale de la Coupe du Monde de 1986. Il pouvait fumer sans problèmes dans les avions, il n’avait pas besoin de se casser la tíªte pour choisir la chaí®ne de télévision qu’il allait regarder – finalement les choix n’étaient pas nombreux. Il avait une actrice pour symbole sexuel, il s’y entendait en carburateurs, il luttait pour son idéal socialiste, convaincu que bientí´t l’Union soviétique aurait des dirigeants plus capables et que les ríªves du peuple (appelé prolétariat) seraient enfin respectés.

Un beau jour, il tombe amoureux d’une étudiante en sociologie de 22 ans. Il admire sa beauté, son enthousiasme, son idéalisme. Il suggère de la transformer en vampire, mais elle refuse – elle a vu beaucoup de films d’horreur. Elle aussi est amoureuse, elle ne désire pas le perdre, mais elle impose une seule condition pour poursuivre la relation : que jamais il ne lui suce le sang. Le vampire n’a d’autre choix que de tenir sa parole. Il se marie í  la mairie, pour éviter les crucifix mortels.

Vingt ans passent – bien vite, seulement quatre autres Coupes du Monde ont eu lieu. L’ancienne élève de l’université a maintenant 42 ans, elle travaille dans une banque (problèmes de chí´mage), ou bien elle écrit d’inutiles thèses de maí®trise, de doctorat, uniquement pour justifier sa vie d’étudiante professionnelle. Les carburateurs disparaissent de la surface de la terre. Horrifié, le vampire feuillette un magazine et voit l’actrice qui était son symbole sexuel transformée en un produit hybride, composé de plastique, de botox et de silicone, le visage recouvert de tonnes de maquillage. Il se sent coupable d’avoir 200 chaí®nes de télévision et de regarder toujours les míªmes.

L’Union soviétique s’est effondrée. Il a été obligé d’abandonner sa chère cigarette (bien qu’elle n’affectí¢t pas sa santé, il est bon de rappeler que le vampire est immortel), car il est devenu impossible de fumer, soit í  cause des lois, soit í  cause des regards des voisins dans les restaurants. Et ce qui est le pire : on ne parle plus que de chat, d’Internet, d’iPod, de rave, etc. Le vampire essaie de se mettre au courant, mais tout semble extríªmement compliqué, irritant, hors de propos. Il regarde l’ordinateur comme s’il regardait une gousse d’ail – avec horreur et impuissance. Jamais il n’arrivera í  faire marcher cela, bien qu’il ait essayé plusieurs fois.

Ses amis sont í  la retraite, ils passent leurs journées í  jouer aux cartes – eux non plus ne savent pas se servir de l’ordinateur, mais cela ne les dérange pas, ils ont tous vieilli ensemble, ils ont les míªmes intéríªts, ils peuvent partager des expériences.

Le vampire demeure jeune. Immortel. Il a maintenant devant lui la dépression éternelle. Il tente de se suicider, en sortant en plein soleil ou en regardant des crucifix, pour découvrir que, contrairement aux mythes inventés par l’Église, cela ne lui cause aucun mal.

Seule lui reste une consolation : il y a encore une figure politique sur laquelle il sait tout (car tous les autres dirigeants dans le monde entier ont changé).

Mais Fidel Castro passera lui aussi. Et il ne restera rien, absolument rien, du monde que le vampire a tant aimé un jour.

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