Stories & Reflections
Le Temps, 13 Mai 2014, Lisbeth Koutchoumoff
Un roman ne peut pas certes changer le monde mais il peut peut-íªtre initier la planète í un sujet réputé ardu et injustement ignoré: la politique suisse. Quel livre serait capable d’une telle prouesse? Le nouveau roman de Paulo Coelho, Adultère, qui paraí®t mercredi. Pourquoi mettre autant d’espoir dans les nouvelles pages de l’auteur de L’Alchimiste? Parce que Adultère se passe í Genève, que son héroí¯ne est très riche (et journaliste aussi) et qu’elle décrit, í l’usage des millions de lecteurs de Paulo Coelho, le fonctionnement du Conseil fédéral, le système des votations et beaucoup d’autres curiosités suisses et genevoises.
Paulo Coelho vit í Genève depuis plusieurs années. Les habitués du Salon du livre le savent bien: il est venu plusieurs fois í la rencontre de ses lecteurs í Palexpo. Discret, il gère depuis ici la fondation qu’il a créée pour aider les jeunes et les personnes í¢gées dans le besoin au Brésil, son pays.
Depuis L’Alchimiste, conte initiatique qui l’a propulsé d’un coup comme auteur-phénomène avec 65 millions d’exemplaires vendus, Paulo Coelho a écrit une quinzaine de romans (dont Le Zahir, Aleph et Le Manuscrit retrouvé, pour ne citer que les plus récents) qui tous, í des degrés divers, croisent préceptes de développement personnel et quíªte spirituelle.
Ce n’est pas la première fois que Genève se trouve décrite sous sa plume. Onze minutes (2003) avait pour héroí¯ne une jeune Brésilienne piégée comme prostituée dans le quartier des Pí¢quis.
Mais dans Adultère, Paulo Coelho fait de la ville un personnage í part entière. Cette fois, c’est la Genève nantie qui est peinte, celle des grandes familles protestantes. La femme adultère, c’est Linda, épouse d’un responsable de fonds d’investissement qui compte parmi les 300 plus riches familles de Suisse (selon le magazine Bilan, est-il précisé). Mais Linda est aussi journaliste dans un journal qui ressemble au quotidien oí¹ s’écrivent ces lignes míªme s’il n’a pas l’honneur d’une citation.
Le cÅ“ur de l’intrigue tient évidemment dans la dépression de Linda et la relation qu’elle va nouer avec un candidat au Conseil d’Etat genevois. Le roman se déroule d’ailleurs pendant les élections. Après l’euphorie de la passion, Linda va petit í petit redécouvrir les vertus de l’Amour. Par respect pour les fans, nous n’en dirons pas plus.
Ce récit est l’occasion pour Paulo Coelho de porter un regard précis, tantí´t admiratif, tantí´t critique sur sa ville et son pays d’adoption. Genève, «avec ses vieilles maisons seigneuriales» et ses «immeubles construits par un maire fou dans les années 1950», apparaí®t comme figée dans le temps et tire de lí son charme. Le monde s’imagine que les Suisses sont réservés? «Quelle méprise!» corrige Linda. «Ici nous disons encore bonjour» quand nous croisons un inconnu en chemin et «au revoir» en sortant d’une boutique oí¹ nous avons acheté une bouteille d’eau minérale, míªme si nous n’avons nulle intention d’y retourner.»
Les journalistes en revanche sont í plaindre dans ce pays oí¹ les hommes politiques «sont les moins intéressants et les plus insipides» que n’importe oí¹ ailleurs sur la planète. Ce qui fait que lorsqu’un scandale éclate (pas pour des affaires sexuelles, les Suisses n’en ont cure, mais pour des affaires de drogue par exemple), les journaux, tout í la satisfaction de se mettre enfin quelque chose sous la dent, en font beaucoup trop.
La Suisse apparaí®t aussi comme un pays qui a choisi de «s’isoler du monde» et qui se félicite de tenir encore les «invasions barbares» par-delí les Alpes. Heureux entre soi, les Suisses.
Linda souffre de son éducation protestante «rigide» oí¹ le bonheur est une notion qui n’entre pas en ligne de compte. Linda règle plus loin ses comptes, sans ambages, avec Calvin: «S es tactiques pour implanter ce qu’il imaginait íªtre la vérité supríªme me le font associer í l’esprit perverti d’Oussama ben Laden. Tous les deux avaient le míªme objectif: installer un Etat théocratique dans lequel tous ceux qui n’accompliraient pas ce qui se comprenait comme la loi de Dieu devraient íªtre punis.»
On revient í des eaux plus calmes avec le chí¢teau de Chillon et l’évocation de Lord Byron et de Mary Shelley. La bise, rebaptisée ici mistral.
Les libraires romands se réjouissent de ce Paulo Coelho très helvétique. On les comprend. La curiosité locale promet d’íªtre encore plus forte qu’ailleurs.